This article was originally published by

Degrees Magazine, published by the University of Regina
The original article can be found at
http://ourspace.uregina.ca/handle/10294/3087
Plum flower fist

By David Sealy
French version by Gaëlle LE GOFF

Son sujet de recherche conduit un doctorant de l’université de Régina dans les profondeurs des vastes plaines des régions rurales de la Chine du Nord, où il étudie une religion populaire autrefois interdite et enracinée dans un art martial unique.

Un groupe de pratiquants d’arts martiaux est en train de s’échauffer sur le terrain situé derrière l’Université Regina’s Miller, alors qu’en arrière-plan la lumière du jour s’évanouit et les étoiles apparaissent lentement. Ray Ambrosi arrive, il porte trois GUANDAOS, des « gros couteaux » comme il les appelle. Ces armes, qui semblent si impressionnantes, sont constituées d’une large lame courbée, d’un mètre cinquante de long. Ambrosi salue ses étudiants, puis il leur montre quelques mouvements de base pour manipuler les GUANDAOS.

« Tout d’abord, il faut repousser sa barbe en arrière, pour ne pas qu’elle gêne », Ambrosi passe la main sous le menton. « Ce mouvement signifie montrer du respect au Dieu de la guerre, Guangong, qui avait une longue barbe. Puis nous nous inclinons devant les Dieux pour leur témoigner à nouveau notre respect, et ensuite nous commençons ».

Alors qu’il faisait tournoyer le GUANDAO sans aucun effort, et en contrôlant la courbe des arcs, Ambrosi fit un mouvement vers l’avant. « C’est une arme iconographique », dit-il, « elle était utilisé pour trancher les soldats ou les bandits montés en cavalier sur les chevaux, afin de les faire tomber de leur monture ». Il fait alors tourner le lourd couteau et explique un autre des avantages de cet exercice. « En bougeant selon une gamme de mouvements si variés, et en respirant correctement, cette pratique permet de bien développer à la fois la stabilité et la force ».

Ses étudiants apprennent le Mei Hua Zhuang, ou le « poing en fleur de prunier », un art martial originaire de la Chine du Nord. Plus qu’une simple forme d’art martial, le Mei Hua Zhuang représente aussi une religion populaire qui apporte une aide sociale supplémentaire, et nécesaire. Cette religion populaire fait office de guide spirituel et médical pour les pratiquants issus de régions qui, depuis des siècles, se sont retrouvées isolées et appauvries. Ambrosi a passé 10 ans en Chine pour étudier et mener son travail de recherche sur ce réseau social informel.

Lorsqu’il est de retour en Occident, Ambrosi organisent des séminaires et donnent des cours et propage ainsi la bonne parole sur les méthodes uniques d’apprentissage du Mei Hua Zhuang. Il décrit les nombreux bénéfices de la pratique : amélioration des mouvements et des positions, force, souplesse, et pensées plus claires. Son séjour estival à Régina va bientôt toucher à sa fin. Il retourne en Chine pour finir sa derrière année de doctorat en anthropologie à l’université de Pékin.

Ambrosi aime dire en blaguant qu’il s’est tout d’abord intéressé aux arts martiaux pour éviter de se faire taper dessus au lycée. Au moment où il fut diplômé d’anthropologie culturelle à l’université de
Régina en 1990, il avait déjà suivi un entraînement intensif en diverses formes d’arts martiaux. Il était aussi l’assistant du professeur de Kung Fu de l’école locale.

Comme il souhaitait connaître davantage la culture chinoise, la langue et les arts martiaux, Ambrosis’ inscrivit à un programme d’échanges de l’université de Régina, devenant ainsi l’un des premiers étudiants à partir pour l’université du Shandong, à Jinan. C’est là-bas qu’il a rencontré Maître YAN Zijie, un professeur de mathématiques de l’université qui enseignait aussi le MHZ, une discipline qui au début troublait Ambrosi. « La première fois que je participai au MHZ, j’étais fasciné parce que c’était vraiment difficile. Je n’avais aucune facilité ou quoi que ce soit. C’était le contraire de tout ce que j’avais appris dans les autres arts martiaux ».

Depuis les années 50, la pratique du MHZ avait été interdite dans de vastes régions du nord de la Chine. Malgré cela, maître YAN Zijie emmena Ambrosi et d’autres étudiants étrangers dans un lieu reculé et formellement interdit du nord de la Chine, afin qu’ils assistent à un grand rassemblement de MHZ. Ambrosi fait remarquer que l’objectif de maître Yan était politique. Le fait que des étrangers puissent participer à l’évènement signifiait que la ligne stricte du gouvernement serait probablement bientôt assouplie.

Au cours de ce festival, la taille de l’évènement – 10 000 personnes réunies dans un même village pour une seule démonstration – a immédiatement marqué Ambrosi. C’était tout à fait non commercial et vraiment rural. L’engagement du gouvernement était minimal.

La nature non compétitive de l’évènement était aussi très impressionnante. « Il n’y avait ni gagnant ni perdant. Il n’y avait pas deux personnes qui s’affrontaient. Il y avait tant d’opportunités pour créer des échanges mutuels et des amitiés. C’était totalement à l’opposé de ce que serait une démonstration au Canada, où l’objectif n’est que de gagner des médailles et taper sur quelqu’un. Le sociologue en moi réalisa qu’il y avait plus ici que des arts martiaux ».

Ambrosi explique que les régions frontalières des vastes plaines de Chine du Nord sont des foyers d’arts martiaux historiques. A cause de problèmes administratifs et de barrières géographiques, le gouvernement exerçait peu d’influence. « Les terres du centre de la Chine permettaient une agriculture productive. Les régions frontalières quant à elles souffrent de catastrophes naturelles graves depuis des centaines d’années. Pendant la dynastie des Qing puis pendant les années de la République, des centaines de milliers de personnes ont péri à cause d’inondations le long du fleuve jaune. Après avoir été frappée par ces catastrophes naturelles en série, la population est tombée dans la pauvreté. Les gouvernements impériaux n’étaient pas capables de contrôler ces régions, c’est ainsi qu’elles sont devenues des sortes de no man’s land de l’ouest sauvage ».

Les populations du nord ont donc pris des mesures pour s’organiser et se protéger. « Jusque dans les années 1900, des armées de bandits venaient du Hunan pour piller la région. Pour se protéger, les villages ont formé des milices capables de mobiliser une armée de 20 000 hommes en quelques
jours ».

Les professeurs de Mei Hua Zhuang avaient l’habitude de traverser les campagnes pour enseigner les techniques d’arts martiaux, ce qui créait une unité entre les villages. Ambrosi fait remarquer que c’est l’aspect religieux du MHZ qui était le plus important. Cela se retrouve dans l’importance accordée au besoin de respecter ses ancêtres et de faire de bonnes actions. Les professeurs qui pratiquaient la médecine n’acceptaient aucune compensation pour leurs actions de guérison ou de divination. Dans de nombreuses zones rurales, le MHZ est appelé « Le chemin du pauvre », ce qui signifie que les praticiens ne sont pas censés accumuler des richesses et doivent, à la place, faire des bonnes actions pour la société.

La tradition du maître nomade aide à instaurer de nouveau le MHZ dans les régions rurales. Ces régions avaient souffert d’un retard pendant les réformes économiques mises en place dans les années 1980. Ambrosi explique que le gouvernement était trop focalisé sur le développement économique. « Tout était subordonné au développement économique. La structure sociale a été vraiment endommagée. Dans beaucoup de régions, les pratiques religieuses, les coutumes populaires et les festivals ont été complètement balayés. ».

Progressivement, le gouvernement a levé les interdictions sur les religions populaires des régions rurales car il réalisait que les populations de ces régions pouvaient se débrouiller et s’entraider là où le gouvernement ne pouvait rien faire pour elles. La pratique du MHZ a donné aux populations rurales des bases spirituelles, leur a montré comment rester en bonne santé et leur a appris comment s’occuper les uns des autres. Ambrosi explique que les maîtres qui pratiquent les rituels aident les familles à passer les épreuves difficiles, la perte d’un proche, et d’autres infortunes. « On ne peut se tourner vers personne d’autre. Il n’y a pas de structure gouvernementale pour les aider, personne. ».

« Les maîtres qui pratiquent les rituels accomplissent un travail remarquable d’aides sociales et de psychologues. Ils aident les pauvres et les opprimés qui n’ont pas d’autres moyens pour résoudre leurs problèmes. Pour donner aux autorités gouvernementales une certaine crédibilité, ils mettent à disposition quelques centaines de policiers pour un million de personnes. ». Ambrosi a profité de l’ouverture de la Chine aux étrangers pour entreprendre sa recherche et écrire son mémoire de Master. Son habilité à pratiquer les arts martiaux, ainsi que l’intérêt et la compréhension qu’il a de la Chine rurale, lui a permis d’avoir la chance unique de connaître leur mode de vie. « Au début j’allais juste dans les villages et je marchais dans les rues pendant des jours, des semaines, des mois. Les gens ne vous acceptent pas tout de suite, mais une présence continue vous permet de gagner leur confiance. ».

Ensuite, Ambrosi a bénéficié de l’abolition des restrictions sur les déplacements dans le pays. Il a ainsi eu l’opportunité d’aller dans la région du Yongnian pour participer aux travaux des champs. Cette région était connue pour être un foyer des activités du MHZ. La répression du gouvernement y a été sévère et longue. « Je n’avais jamais pensé pouvoir aller là-bas. Ça crèverait les yeux que j’étais un étranger. Je serais reconduit par la police en moins d’une journée. J’avais tous mes contacts dans d’autres régions. Mais j’étais trop fasciné par Yongnian pour laisser passer l’occasion ».

Il a décidé de se baser dans le village de Gucheng, où les gens de la ville avaient récemment construit un temple. Il a accompagné l’équipe locale d’arts martiaux au cours de leurs voyages, qui les menaient de villages en villages pour propager le MHZ. « L’équipe quittait le village pendant le Nouvel An chinois et je les accompagnais comme caméraman et membre de l’équipe. Je faisais aussi des démonstrations». On n’avait pas vu d’étrangers dans ces villages depuis au moins un siècle, « donc des milliers de personnes ont appris à me connaître ».

Ambrosi a aussi aidé les villageois à s’adresser aux ONG chinoises pour obtenir leur soutien. Au final, les villages ont reçu plusieurs milliers de livres en guise de donation et le village de Gucheng a bénéficié de la construction d’une bibliothèque.

La plaine du nord de la Chine est assez familière des habitants de la Prairie (1). Dans les villages, les maisons sont construites sur un étage, elles ont des toits hauts et sont entourées par des champs de blé. Après la moisson, le maïs a poussé. Pendant la saison où le maïs pousse, explique Ambrosi, « Les champs sont verdoyants et magnifiques. En hiver, les champs sont arides et secs. ». Toutes les familles cultivent une parcelle de terre, mais tous les membres de la famille ont aussi un autre travail salarié. On trouve souvent autour des villages des petites usines qui produisent des objets tels que des écrous, des boulons ou encore de la quincaillerie.

La vie dans un village chinois n’est pas facile. Un brouillard causé par l’activité industrielle domine l’air et la poussière du charbon s’installe partout. « Les rues sont boueuses. C’est sûr que vous allez être sales. Il n’y a pas de douches et les toilettes sont à l’extérieur, et pour y accéder vous devez parfois pousser un cochon. J’ai été piqué par des punaises des milliers de fois. Vous vous réveillez le matin et ça vous gratte de partout. ».

Malgré tous ces inconvénients, Ambrosi a compilé des milliers de pages de prises de notes effectuées dans les champs, et des heures de films. Marion Jones, un membre du département de l’économie de l’université de Régina, et aussi membre du comité du doctorat de Ambrosi, s’intéresse depuis longtemps à la Chine rurale. Elle et deux de ses collègues sont en ce moment en train d’observer les efforts qu’une ONG chinoise déploie pour mettre en place des services d’aide sociale pour 200 millions de travailleurs migrants.

Jones dit que la volonté d’Ambrosi pour s’immerger dans la culture rurale donne des résultats impressionnants. « Ce que fait Ray est remarquable. C’est seulement parce qu’il pratique les arts martiaux et qu’il a été dans ces communautés depuis des années qu’il est capable de mener tout son travail de recherche. C’est un énorme avantage qu’il soit étranger. Ce n’est pas un chinois des villes dont les villageois se méfient parce qu’il pourrait être un espion. Cela nous offre un point de vue fascinant qui nous plonge dans une culture très peu comprise. ».

Retour à Régina, le soleil est maintenant couché. Ambrosi donne le rythme d’un exercice pour travailler les pas, se déplaçant du haut d’un point imaginaire à un autre. « Il suffit de ne pas aller trop vite pendant tout l’exercice », dit-il à ses étudiants, sinon vous perdrez l’équilibre. ». Les étudiants suivent ses conseils, leur silhouette se déplaçant avec grâce dans l’obscurité.

(1) : Région d’Amérique du Nord
(2) Article écrit par David Seal, Degrees Magazine, Université de Régina
Traduction : Gaëlle LE GOFF